Premier essai depuis très longtemps, premier extrait du livre au sujet du petit jardin urbain, tous les deux mentionnés dans les articles précédents.
Mais avant, une petite présentation de l’AUTEUR:
Wladimir Wiktorowitsch Kaminer, né le 19 juillet 1967 à Moscou, d’origine russo-juive, est un écrivain et un chroniqueur allemand. Kaminer écrit ses textes en allemand et non dans sa langue maternelle qui est le russe (http://www.wladimirkaminer.de/)
Véritable enfant de Moscou, il y passa non seulement son enfance et son adolescence, mais y acheva aussi son service militaire.
Après une formation d’ingénieur du son pour théâtre et pour radio, il s’inscrivit aux études de dramaturgie à l’institut d´état de l’art de théâtre à Moscou (ГИТИС – GITIS).
Juin 1990, il eut droit d’asile humanitaire en RDA; et même avant l’adhésion de la RDA à la RFA, le 3. octobre 1990, il obtint la nationalité allemande de la RDA et ce pourquoi, après, il reçut automatiquement celle de la RFA.
Il fut longtemps membre de la « Reformbühne Heim & Welt » (« théâtre domicile et monde ») et ce dans le cadre de celle-ci qu’il présenta au « Kaffee Burger » ses récits les plus récents.
Wladimir Kaminer publia régulièrement ses textes dans différents journaux et magazines allemands, mais il eut également une émission hebdomadaire („Wladimirs Welt“) sur la chaîne de SFB 4Radio Multikulti et tint une rubrique occasionnelle au sein du ZDF–Morgenmagazin.
En outre, il organisa, ensemble avec Yuriy Gurzhy, des soirées au « Kaffee Burger » (« Russendisko ») dont quelques mixes sortirent sous l’étiquette « Russendisko » chez le Label Trikont.
Kaminer vit avec sa femme Olga, également d’origine russe, et ses deux enfants dans le quartier Prenzlauer Berg à Berlin.
Extrait du livre « Mein Leben im Schrebergarten » – « Ma vie dans le Schrebergarten » de Wladimir Kaminer, Golmann Verlag (2009) (voir Souvenir de jardin – Introduction)
- ISBN-10: 3442542707
- ISBN-13: 978-3442542703
Lulu est morte – 1
Si j’étais pape, je dissoudrais immédiatement l’ancienne église et je donnerais naissance à une nouvelle – une église divine sous forme de démocratie directe pour une vie saine et variée.
Une église, telle que je la favoriserais, garderait bien évidemment les us sportifs et les coutumes privilégiant la vie, comme par exemple : jeûner à la lumière des chandelles, fredonner ensemble les airs de variété, baptiser les bébés d’amusants doubles prénoms, et une recherche collective de la vérité se terminant dans un pèlerinage au trou du cul du monde.
Toutes les coutumes violentes et méprisantes pour le genre vivant, comme par exemple : brûler, décapiter, fouetter, lapider, crucifier ne seraient pas tolérées, et seraient condamnées à la mise à la porte, de même que toute sorte d’altercation théologique sur la question de qui a le meilleur dieu. Les priorités de notre église seraient la répartition équitable de la récolte, la lutte contre le réchauffement global de la Terre et une alimentation saine. Le reste du temps, les croyants devraient réfléchir sur la finitude. L’idée que chaque vie est courte et fragile, peut rendre grand et fort.
L’idée de la finitude est mon idée préférée, à laquelle je ne pense toutefois qu’en arrière-saison, face au grand nombre des mouches du vinaigre qui envahissent tout dans cette période et dont la durée de vie est calculée beaucoup plus justement que la mienne. Personne, dans ce peuple doucement bourdonnant, ne va passer Noël avec nous. Même avant d’avoir terminé d’écrire ce chapitre, elles vont probablement toutes être mortes, et personne ne versera une larme.
Ce dernier temps, les mouches du vinaigre ont cassé les pieds à tout le monde avec leurs vols fébriles dans tous les sens. Elles étaient partout : dans la cuisine, sur l’écran, dans la salle de bain et aux toilettes. Elles nageaient dans chaque verre à bière, à vin et dans chaque Cuba Libre qu’on commandait. On ne pouvait consommer ni liquides fruités, ni alcoolisés, sans avaler au passage au moins deux mouches du vinaigre. Elles étaient importunes et répugnantes. Mais malgré tout, mes mains restaient propres, je ne cherchais pas des poux avec les mouches du vinaigre, je ne tuais pas une seule d’entre-elles. Je pouvais bien saisir pourquoi elles étaient si fébriles. Leur espérance de vie est courte à en disjoncter ; dans une telle situation, n’importe qui tomberait dans le verre. Et qui alors oserait, dans de telles conditions tragiques, gâcher les derniers jours ou voire heures d’une mouche du vinaigre. Seule un fasciste, quelqu’un sans aucun sens de moral. Je les sauvais, quand et où je pouvais. Je les repêchais de mon verre, les lançais dans l’air, mais la plupart d’entre elles était déjà morte et tombaient, comme des cendres, par terre. Seul un petit nombre d’elles survivait. Elles s’envolaient directement – simplement, ne pas perdre du temps. Car une mouche du vinaigre a aussi beaucoup à faire quand elle arrive au monde. D’abord, elle a besoin de quelques heures pour regarder un petit peu à gauche et à droite, et pour surmonter sa propre puberté. De suite, elle se promène en volant, se laisse tomber, comme une feuille dans le vent du sort, et se fait de temps en temps enfoncer dans l’un ou l’autre des verres de bière. « C’est gai, en principe, maintenant, je peux commencer à lancer mon projet de vie, c’est parti » , pense la mouche du vinaigre qui atterrit dans la mousse.
Si c’est ma bière, la mouche a éventuellement de la veine. Mais si elle se noie dans la bière d’un fasciste, tout projet de vie ne lui sert pas à grande chose. À cette occasion, je voudrais commémorer avec une minute de silence toutes les mouches du vinaigre qui ne sont plus parmi nous.
Hier encore, la Terre tremblait de leur doux bourdonnement, maintenant elles nous ont quittés.